Monsieur M., 70 ans, dont le recul connu de maladie diabétique est de 11 ans, a été mis à l’insuline il y a environ deux ans en raison d’une HbA1c qui était à 8,3 % sous trithérapie orale metformine + sulfamide hypoglycémiant. En accord avec la prise de position de la SFD, et après une bonne titration de l’insuline basale, le sulfamide hypoglycémiant a été progressivement arrêté et seule la metformine a été maintenue en association à l’insuline (Avis n° 17). Après une bonne période, l’équilibre glycémique se détériore depuis quelques mois.

Le patient présente à ce jour les principales caractéristiques cliniques et biologiques suivantes :
 L’HbA1c est 7,9 % sous glargine U100 (58 unités le soir avant le dîner) + metformine (2 g par jour bien tolérée).
 La glycémie capillaire le matin au réveil tourne autour de 1,50 g/l.
 Il n’y a que de rares incidents hypoglycémiques, généralement à l’occasion d’une activité physique inhabituelle, par exemple le jardinage. D’éventuelles hypoglycémies nocturnes ne sont pas documentées.
 Le patient a compris comment adapter ses doses d’insuline mais il a maintenant peur de continuer de les augmenter au-dessus de 60 unités par jour.
 Le patient est en bon état général. Son IMC est à 33 kg/m2 ; il a pris 3 kg dans l’année qui a suivi la mise à l’insuline, malgré quelques efforts de régime alimentaire, pour lesquels il sera difficile de faire mieux.
 La pression artérielle et les lipides sont bien contrôlés, sous une bithérapie antihypertensive (ARAII + inhibiteur calcique) et sous statine, prescrites au mo ment du passage à l’insuline, en raison de chiffres limites de la pression artérielle et du LDL-cholestérol.
 Il n’y a pas d’atteinte cardiovasculaire connue. Un bilan cardiovasculaire considéré comme complet par le cardiologue a été pratiqué récemment et n’a pas montré d’anomalie.
 Il existe une microangiopathie débutante avec des microanévrismes au fond d’œil ; il n’y a pas de microalbuminurie et la créatinine sérique est limite avec un débit de filtration glomérulaire estimé à 55 ml/min/1,73 m2 sur plusieurs bilans consécutifs.

D’après la prise de position de la SFD actualisée en 2019, que proposer à ce patient ?
En accord avec le patient, il convient d’intensifier le traitement du diabète, d’autant qu’il n’est pas cohérent de ne pas atteindre une valeur cible acceptable d’HbA1c alors qu’on a choisi l’insuline, avec ses contraintes. D’après la prise de position de la SFD, la valeur cible de référence d’HbA1c chez ce patient est de 7 %. Certes, il s’agit d’un patient relativement âgé. Cependant, la définition moderne du sujet âgé est plutôt de 75 ans (définition EMEA) s’il n’y a pas de marqueur de fragilité. Tel est le cas de ce patient qui ne présente pas de comorbidités majeures, notamment cardiovasculaires, simplement une insuffisance rénale chronique modérée de grade 3A et une rétinopathie diabétique débutante. Dans ce cas particulier, un objectif glycémique relativement strict va permettre de prévenir l’aggravation potentielle des complications microvasculaires (Avis n°1). L’existence d’une insuffisance rénale chronique modérée de grade 3A chez ce patient par ailleurs en bon état général est un autre argument pour une valeur cible d’HbA1c à 7 % (tableau 1). Ceci étant dit, l’insulinothérapie, avec son risque hypoglycémique, doit amener à une réflexion d’individualisation de la valeur cible pour évaluer la balance entre le bénéfice et le risque du traitement. On peut sans doute pour cette raison fixer la valeur cible individualisée d’HbA1c pour ce patient entre7 % et 7,5 % (notes du tableau 1).https://www.diabetologie-pratique.com/sites/www.diabetologie-pratique.com/files/images/article-journal/capture_decran_2020-11-05_a_11.27.01.png


1. Sous réserve d’être atteint par la mise en œuvre ou le renforcement des modifications thérapeutiques du mode de vie puis, en cas d’échec, par un ou plusieurs traitements ne provoquant pas d’hypoglycémie.
2. De manière générale, chez les sujets âgés, il est essentiel de minimiser le risque d’hypoglycémie, notamment d’hypoglycémie sévère. Ce risque existe sous sulfamides, répaglinide et insuline, et il est plus important lorsque l’HbA1c est inférieure à 7 %.
3. IDM avec insuffisance cardiaque, atteinte coronarienne sévère (atteinte du tronc commun ou atteinte tritronculaire ou atteinte de l’artère interventriculaire antérieure proximale), atteinte polyartérielle (au moins deux territoires artériels symptomatiques), artériopathie oblitérante des membres inférieurs symptomatique, accident vasculaire cérébrale récent (< 6 mois).
4. Stades 3A : débit de filtration glomérulaire (DFG) entre 45 et 59 ml/min/1,73 m2 ; 3B : DFG entre 30 et 44 ml/min/1,73 m2 ; stade 4 : DFG entre 15 et 29 ml/min/1,73 m2 ; stade 5 : DFG < 15 ml/min/1,73 m2.

Ceci posé, avec une HbA1c à 7,9 %, le patient est dans l’une des situations décrites dans l’Avis n°18 de la prise de position de la SFD actualisée en 2019 : « HbA1c > objectif et glycémie à jeun audessus de la cible malgré de fortes doses d’insuline basale ».

L’option préférentielle : l’ajout d’un agoniste des récepteurs du GLP-1 (P. Darmon)

Comme le précise la prise de position de la SFD dans son Avis n°18, les deux options les plus efficaces en cas d’échec d’une insulinothérapie basale en association à la metformine sont l’ajout d’un agoniste des récepteurs du GLP-1 (GLP-1 RA) ou le passage à une insulinothérapie intensifiée par multi-injections, en conservant dans les deux cas la metformine. Il est précisé que « dans la majorité des cas, l’ajout d’un GLP-1 RA peut être proposé de préférence à une insulinothérapie intensifiée, en raison d’une efficacité au moins comparable, mais avec une plus grande simplicité et une meilleure tolérance (moins d’hypoglycémies, moins de prise de poids) ». Le rationnel de l’association insulinothérapie basale + GLP-1 RA repose sur leur complémentarité d’action : l’insuline basale a vocation à contrôler la glycémie à jeun, tandis que le GLP-1 RA va cibler la glycémie à jeun et les glycémies postprandiales. L’ajout d’un GLP-1 RA contrebalance les effets contraires sur le poids et le risque d’hypoglycémies de l’intensification de l’insulinothérapie. En outre, les GLP-1 RA ne nécessitent pas de titration complexe de la dose. Les études cliniques comparant GLP-1 RA et un à trois bolus d’analogues rapides de l’insuline après échec de basale vont toutes dans le même sens et montrent un équilibre glycémique au moins équivalent sous GLP-1 RA, avec une perte de poids et un moindre risque hypoglycémique. Cependant, le coût élevé de cette association thérapeutique doit amener à une réévaluation régulière de son efficacité et de sa tolérance.
L’Avis n°18 de la prise de position de la SFD précise également que « le choix d’une stratégie incluant un iSGLT2 ou un GLP-1 RA est intéressant chez le patient obèse (IMC 30 kg/m2) ». Monsieur M. est un patient obèse, en bon état général, insuffisamment contrôlé sous de fortes doses d’insuline basale et metformine : il s’agit donc d’un bon candidat pour l’ajout d’un GLP-1 RA. Une diminution modérée de la dose d’insuline pourra être envisagée au moment de l’introduction du traitement pour prévenir une possible majoration du risque hypoglycémique.

Le choix de la molécule qui sera prescrite parmi les différents GLP- 1 RA disponibles devra faire l’objet d’une décision médicale partagée entre le médecin et le patient, tenant compte des avantages et inconvénients des produits disponibles dans la classe. Comme mentionné dans l’Avis n°25 de la prise de position de la SFD de 2019, chez les patients présentant, comme Monsieur M., une maladie rénale chronique, si le choix thérapeutique se porte sur un GLP- 1 RA, il convient de proposer une molécule ayant démontré un bénéfice rénal — en l’occurrence liraglutide, sémaglutide ou dulaglutide —, même si ce bénéfice ne concerne en réalité que la progression du stade de normo- ou microalbuminurie à celui de macroalbuminurie. En France, parmi ces trois molécules, seuls le liraglutide (une injection par jour) et le dulaglutide (une injection par semaine) sont remboursés en association avec l’insuline. On rappellera qu’il existe sur le marché une forme combinée associant dans le même stylo insuline basale et GLP-1 RA : il s’agit de l’IdegLira (Xultophy®) qui associe l’insuline dégludec et le liraglutide (une injection par jour). L’inconvénient de cette forme combinée est que l’adaptation de la dose d’insuline va entraîner une variation de la dose de liraglutide, et que le ratio fixe du Xultophy® ne convient pas à tous les patients.

Une option alternative : l’ajout d’un hypoglycémiant oral (iDPP4 ou iSGLT2) (B. Charbonnel)

La SFD propose deux options alternatives à l’ajout à l’insuline basale d’un GLP-1 RA : soit ajouter un traitement oral, soit s’orienter vers une insulinothérapie intensifiée, en ajoutant, éventuellement par étapes, une composante d’insuline rapide à l’insuline basale.
La mise en œuvre d’une insulinothérapie intensifiée par multiinjections (une ou plusieurs injections préprandiales d’un analogue rapide de l’insuline associées à une injection d’insuline basale, plutôt que 2 ou 3 injections quotidiennes d’insuline « premix », schéma moins flexible pour le patient et généralement pourvoyeur de plus d’hypoglycémies et de prise de poids) est le choix traditionnel en cas de résultat insuffisant de l’insuline basale seule et sera en tout cas proposée secondairement, en cas d’échec d’une association insuline basale + GLP-1 RA (Avis n°18). Cette option sera prioritaire en cas de déséquilibre glycémique majeur (Avis n°18), mais tel n’est pas le cas de ce patient. Pour légitime qu’il soit, le choix d’une insulinothérapie intensifiée se heurte chez ce patient à différents arguments, la réticence habituelle des patients vis-à-vis des multiinjections d’insuline, la relative complexité de l’adaptation des doses d’insuline dans les schémas à multi-injections, le sur-risque hypoglycémique de ces schémas, la prise de poids chez un patient qui a déjà pris du poids sous insuline basale seule et qui présente une obésité.
C’est la raison pour laquelle le choix de l’ajout d’un traitement oral, en plus de la metformine, est une bonne option alternative, surtout chez un patient dont l’HbA1c n’est pas très élevée (les deux options injectables sont en moyenne plus puissantes). Le libellé de la recommandation SFD (Avis n°18) est le suivant : « À ce stade, l’ajout d’un autre traitement oral à l’insuline basale est une possibilité, mais elle est moins efficace que l’ajout d’un traitement injectable en termes de baisse d’HbA1c. Si cette option est choisie, il convient de privilégier l’ajout d’un iDPP4 ou d’un iSGLT2 plutôt que l’ajout d’un sulfamide ou du répaglinide pour limiter le risque hypoglycémique ».
Les études ont montré que, pour une HbA1c de départ à 7,9 %, on atteint la valeur cible de 7 % dans à peu près la moitié des cas et une HbA1c < 7,5 % dans une majorité des cas, pour une option très simple puisqu’il s’agit simplement d’ajouter un comprimé par jour, sans prise de poids supplémentaire pour l’iDPP4 et avec une perte modérée de poids pour l’iSGLT2. Une diminution modérée de la dose d’insuline peut être envisagée au moment de l’introduction de l’un ou l’autre de ces traitements pour prévenir une possible majoration du risque hypoglycémique.

Entre iDPP4 et iSGLT2, lequel choisir ? Si on suit à la lettre la recommandation actualisée de la SFD, il faut choisir un iDPP4 puisqu’il convient de ne pas initier un traitement par iSGLT2 pour un « débit de filtration glomérulaire < 60 ml/min » (sans que la formule à utiliser pour estimer le DFG ne soit précisée dans les RCP). Ceci étant dit, la présence d’une maladie rénale chronique est de plus en plus un argument en faveur d’un iSGLT2 (Avis n°18 et 25), autrement dit de la dapagliflozine, en attendant que les autres iSGLT2 soient sur le marché français. Toutes les grandes études d’événements, certaines postérieures à la rédaction de la recommandation 2019, certaines ayant le critère d’insuffisance rénale comme critère primaire, montrent une importante protection de la fonction rénale sous iSGLT2, même si la réduction glycémique est moindre lorsque la fonction rénale est altérée. À cet argument de néphroprotection s’ajoute, en faveur d’un iSGLT2, l’argument de perte de poids chez ce sujet obèse.

D’où une préférence, chez ce patient, pour l’ajout d’un iSGLT2. Le périmètre de remboursement de la dapagliflozine dans cette indication d’association à l’insuline favorise le traitement combiné dapagliflozine-metformine, pour bien signifier que la metformine fait partie du traitement et qu’on n’ajoute pas l’iSGLT2 à l’insuline seule — c’est d’ailleurs également vrai pour l’iDPP4.

Au final, on peut donc présenter au patient les quatre possibilités :
– l’ajout à l’insuline basale d’un traitement oral : iDPP4 ou iSGLT2, avec l’avantage de la simplicité du traitement oral, l’avantage de la protection cardiovasculaire et rénale propre à l’iSGLT2, mais avec une moindre efficacité hypoglycémiante que les deux autres options injectables ;
– l’intensification du traitement injectable : plutôt l’ajout à l’insuline basale d’un GLP-1 RA qu’une insulinothérapie intensifiée.

… en laissant finalement au patient la décision dans le cadre d’une décision médicale partagée (Avis n°2).

Patrice DARMON*, Bernard CHARBONNEL**, *CHU de la Conception, Marseille ; **Université de Nantes

DIABETOLOGIE PRATIQUE