Au cours d’une présentation aux Journées francophones d’hépato-gastroentérologie et d’oncologie digestive (eJFHOD 2021), le PrPhilippe Levy (Service de pancréatologie et d’oncologie digestive, Hôpital Beaujon, Clichy) a fait le point sur les moyens de prévenir le risque de cancer du pancréas [1]. En plus d’encourager une meilleure hygiène de vie, il est recommandé de mettre en place un dépistage en cas de prédispositions, qu’elles soient familiales ou non (mélanome multiple, syndrome de Peutz-Jeghers, pancréatite…).

En France, comme dans tous les pays industrialisés, l’incidence du cancer du pancréas est en hausse constante depuis une vingtaine d’années. Selon l’Institut national du cancer (Inca), plus de 14 000 cas nouveaux cas de cancer du pancréas ont été recensés en 2018, soit 5 000 cas de plus par rapport à 2011. Une hausse d’autant plus inquiétante qu’il s’agit d’un cancer difficile à traiter, devenu deuxième cause de mortalité par cancer après le cancer du poumon.

L’incidence du cancer du pancréas est en hausse constante depuis une vingtaine d’années.

Epidémie d’obésité et de diabète

Quelle prévention faut-il, dès lors, mettre en place pour tenter de ralentir, voire d’inverser cette tendance? Au cours de sa présentation, le Pr Levy a évoqué plusieurs approches préventives, en insistant sur les facteurs de risque de cancer du pancréas modifiables liés au mode de vie, avant de s’attarder sur la surveillance des formes familiales et de certaines maladies du pancréas, comme la pancréatite.

Parmi les principaux facteurs pouvant être modifiés pour réduire le risque d’avoir un cancer du pancréas, le tabagisme figure en première place, les fumeurs ayant deux à trois fois plus de risque d’avoir ce cancer. S’il n’y avait pas de tabagisme, « on éviterait entre 20 et 30% des adénocarcinomes pancréatiques », a souligné le gastro-entérologue.

Viennent ensuite l’obésité androïde, caractérisée par une accumulation de graisse intra-abdominale, et le diabète de type 2, généralement associé à ce type d’obésité. L’augmentation de l’obésité et surtout du diabète est l’une des hypothèses avancées pour expliquer la hausse des cas de cancer de pancréas, qui pourrait être en lien avec une perte de qualité dans l’alimentation.

Pour prévenir le risque de cancer du pancréas, « l’hygiène alimentaire est fondamentale », tout comme la pratique d’une activité physique, a commenté le Pr Levy. Le tabac reste « l’ennemi numéro 1 », surtout lorsqu’il est associé à d’autres facteurs de risque. L’abus d’alcool est également à proscrire.

Rechercher les formes familiales

Dans tout adénocarcinome pancréatique, la prévention passe par la recherche d’antécédents familiaux. « Les formes familiales de cancer du pancréas représentent 5 à 10% des cas. Il faut donc adopter une démarche proactive » en vue d’identifier un potentiel risque de transmission familiale. « On peut apporter un réel service à ces familles. »

La recherche d’antécédents familiaux ne se limite pas au cancer du pancréas puisque les gènes de prédisposition sont aussi impliqués dans le développement d’autres cancers, comme le mélanome multiple (gène CDKN2A) ou le cancer du sein (BRCA 1 et 2), ainsi que de maladies génétiques, comme le syndrome de Peutz-Jeghers (une pathologie associant polypes intestinaux et lésions cutanées pigmentées).

Selon la littérature, le risque relatif d’avoir également un cancer du pancréas est 2 à 10 fois plus élevé en cas de cancer du sein et de l’ovaire d’origine héréditaire (BRCA2), a rappelé le gastro-entérologue. Les mélanomes multiples héréditaires (FAMMM) sont associés à un risque de cancer du pancréas 10 à 25 fois plus élevé. En cas de syndrome de Peutz-Jeghers, le risque est multiplié par 100.

Par conséquent, le dépistage du cancer du pancréas est recommandé en cas de polypose de Peutz-Jeghers et chez les porteurs du gène CDKN2A présentant un mélanome multiple. Il faut aussi prévoir un dépistage lorsqu’un patient a un apparenté au premier degré atteint d’un cancer du pancréas porteur de certaines mutations (BRCA1, BRCA2, PALPB2, ATM, TP53…) ou lorsque deux apparentés avec un cancer du pancréas sont porteurs de BRCA2.

Dépister le diabète

Dans le cas de cancers du pancréas familiaux non syndromique, c’est à dire non associés à des gènes de prédisposition, un dépistage est recommandé pour les patients ayant au moins un apparenté au premier degré atteint du cancer de pancréas qui a lui-même un apparenté au premier degré atteint de ce cancer ou lorsque deux apparentés au premier degré en sont atteints, a indiqué le Pr Levy.

La stratégie de dépistage du cancer du pancréas dans les familles à risque passe tout d’abord par une consultation en oncogénétique. Une surveillance est ensuite mise en place avec un examen par IRM en alternance avec une échoendoscopie, renouvelé tous les six mois, précise le gastro-entérologue. « Il faut également dépister le diabète, qui peut être le premier signe d’apparition d’un cancer du pancréas. »

Le rythme de surveillance peut être adapté et passer à un examen annuel, conformément au consensus international de 2013 sur le dépistage du cancer du pancréas (CAPS) [2]. « Tout dépend du niveau de risque. Un examen tous les six mois est préférable dans les groupes à risque élevé, surtout en présence de lésions kystiques », même si le rapport coût/efficacité de cette approche n’est pas prouvé.

Interrogé en fin de présentation sur l’intérêt d’une pancréatectomie totale prophylactique chez les patients à très haut risque, le Pr Levy estime que « cette approche peut être discutée, d’autant plus que la greffe d’ilots pancréatiques se développe ». Sans aller vers une ablation systématique comme celle pratiquée aux Etats-Unis sans considération éthique, estime le gastro-entérologue.

Concernant la prévention du risque de cancer du pancréas chez les patients présentant des tumeurs kystiques, le spécialiste a rappelé les conditions justifiant de renforcer la surveillance. En cas de cystadénome séreux, la surveillance n’est pas nécessaire car « il n’y a aucun risque de cancer », tandis qu’un cystadénome mucineux (kyste contenant du mucus et du sang) est plus fréquemment un stade pré-cancéreux.

Prévenir la récidive de pancréatite aiguë

Avec les tumeurs intracanalaires papillaires et mucineuses du pancréas (TIPMP) qui touchent les canaux pancréatiques (découvertes chez 7% des plus de 50 ans), le risque de malignité est variable. Une surveillance est mise en place lorsque ce sont les canaux secondaires qui sont atteints, tandis que la résection est plus souvent envisagée en cas d’atteintes sur le canal pancréatique principal.

Enfin, s’agissant de la surveillance des patients atteints de pancréatite chronique, le dépistage est recommandé uniquement lorsque la pancréatite est héréditaire. Dans le cas de pancréatite non héréditaire, « il est quasiment impossible de faire un diagnostic de cancer du pancréas à un stade précoce », étant donné qu’elle est, en général, calcifiée.

, « qui a un rôle tout aussi délétère », a insisté le Pr Levy.

Faire manger un malade qui a eu une pancréatite aiguë biliaire, sans avoir traité les lithiases, est une faute  Pr Philippe Levy

En cas de pancréatite aiguë, la prévention de la récidive est aussi importante, en évitant toute alimentation par voie orale « tant que le problème biliaire n’est pas résolu » par cholécystéctomie par exemple, a souligné le spécialiste.  « Faire manger un malade qui a eu une pancréatite aiguë biliaire, sans avoir traité les lithiases, est une faute. »

Vincent Richeux

7 avril 2021

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