Dans les pays développés, un quart des patients diabétiques de type 2 a plus de 75 ans. Dans cette population particulière, toutes les recommandations préconisent d’adapter les objectifs glycémiques à la présentation clinique (complications du diabète, comorbidités, mode de vie, observance) et au degré de fragilité des individus, soulignant l’importance d’une évaluation gérontologique rigoureuse. Pour autant, on sait qu’une proportion importante de sujets âgés — pouvant aller jusqu’à 25 ou 50 % selon les études — sont « sur-traités » et sont ainsi exposés à un risque injustifié d’iatrogénie, et plus particulièrement au risque d’hypoglycémies lorsque le traitement comporte de l’insuline, un sulfamide ou un glinide. Pour autant, il n’existe que peu de données sur le pronostic de ces sujets âgés « sur-traités », et notamment de ceux qui, parmi eux, reçoivent des agents pourvoyeurs d’hypoglycémies.

Cette étude rétrospective de cohorte réalisée à partir d’une base administrative canadienne porte sur 108 620 patients diabétiques âgés de plus de 75 ans traités par au moins un agent antihyperglycémiant entre septembre 2014 et août 2015 et présentant une HbA1c inférieure ou égale à 8,5 % (âge moyen 80,6 ans, sexe ratio 1:1, durée du diabète 13,7 ans, nombreuses comorbidités associées). Les patients ont été répartis en fonction de leur contrôle glycémique à l’inclusion (strict : HbA1c < 7 % ou ‘conservateur’ : HbA1c 7,1 à 8,5 %) et de leurs traitements (pourvoyeurs d’hypoglycémie : insuline et sulfamide – ou non : metformine, gliptine, acarbose et glitazone). Quatre groupes ont ainsi été constitués : groupe 1, HbA1c < 7 % avec traitement à risque ; groupe 2, HbA1c < 7 % sans traitement à risque ; groupe 3, HbA1c 7,1-8,5 % avec traitement à risque ; groupe 4, HbA1c 7,1-8,5 % sans traitement à risque. Le critère principal de jugement est un critère composite incluant passage aux urgences, hospitalisations ou décès dans les 30 jours suivant le dosage de l’HbA1c. Parmi les 108 620 patients inclus dans l’étude, 61,1 % ont une HbA1c inférieure à 7 % (groupes 1 + 2) et 21,6 % sont traités par insuline et/ou sulfamide (groupe 1). L’incidence brute du critère primaire composite est de 0,92 % dans le groupe 1 contre 0,41 % dans le groupe 4 (HbA1c 7,1-8,5% sans traitement à risque). Après application d’un score de propension intégrant de nombreux facteurs de confusion, le risque relatif (RR) de survenue du critère primaire est de 1,49 (IC95% : 1,08-2,05) dans le groupe 1 par rapport au groupe 4. Une analyse secondaire montre également un excès de risque à 90 jours dans le groupe 1 pour le critère primaire par rapport au groupe 4 (RR 1,27 [IC95% : 1,07-1,51]). À 90 jours, le risque de passage aux urgences ou d’hospitalisation pour hypoglycémie est près de sept fois plus élevé dans le groupe 1 que dans le groupe 4 (RR 6,83 [IC95% : 2,89-16,2]) alors que celui de passage aux urgences ou d’hospitalisation pour complication métabolique aiguë du diabète hors hypoglycémie est quasiment multiplié par deux (RR 1,94 [IC95% : 1,06-3,57]). Lorsque le groupe 1 est comparé au groupe 2 (HbA1c < 7 % sans traitement à risque), on retrouve une majoration du risque relatif de critère primaire à 30 jours (RR 1,48 [IC95% : 1,18-1,85]) comme à 90 jours (RR 1,55 [IC95% : 1,36-1,77]), du risque de passage aux urgences ou d’hospitalisation pour hypoglycémie à 90 jours (RR 3,78 [IC95% : 2,13-6,71]) et du risque de passage aux urgences ou d’hospitalisation pour complication métabolique aiguë grave hors hypoglycémie à 90 jours (RR 1,59 [IC95% : 1,04-2,44]). Lorsque le groupe 1 est comparé au groupe 3 (HbA1c 7,1-8,5 % avec traitement à risque), on retrouve une majoration du risque relatif de critère primaire à 30 jours (RR 1,25 [IC95% : 1,02-1,52]) et du risque de passage aux urgences ou d’hospitalisation pour hypoglycémie grave à 90 jours (RR 1,57 [IC95% : 1,07-2,29]). En dépit de ses limites méthodologiques, cette étude confirme qu’il existe un pourcentage élevé de patients diabétiques de plus de 75 ans, porteurs de multiples comorbidités, chez qui le taux d’HbA1c est drastiquement diminué (< 7 %) et que, parmi eux, ceux qui sont traités par des agents pourvoyeurs d’hypoglycémies ont un pronostic défavorable, avec en particulier un risque accru de complications métaboliques aiguës justifiant un passage aux urgences ou une hospitalisation.

Ces résultats confortent le concept de modulation des objectifs glycémiques chez le sujet âgé que la prise de position de la SFD de décembre 2019 résume ainsi « Une attitude thérapeutique trop peu exigeante chez les patients âgés ‘en bonne santé’ et un traitement trop intensif chez des sujets âgés ‘fragiles’ sont les deux écueils à éviter. »

Patrice DARMON, Marseille

DIABETOLOGIE PRATIQUE

05 FÉV 2021

Lega IC et al. Potential diabetes overtreatment and risk of adverse events among older adults in Ontario: a population-based study. Diabetologia 2021 Jan 25.